Mission d’information parlementaire sur l’adaptation de l’école aux enjeux climatiques – Contribution de SUD éducation

jeudi 12 octobre 2023
par  Sud éduc 34

Article de SUD éducation
Lundi 9 octobre 2023

SUD éducation se félicite de l’existence de cette mission d’information, mais rappelle néanmoins l’urgence de la crise écologique et l’insuffisance des politiques actuellement menées, qui relèvent de l’inaction climatique. Cette inaction climatique est de nature à décrédibiliser les actions entreprises par l’École à destination des élèves, qui perçoivent bien les contradictions entre les paroles et les actes des décideurs publics.

Nous rappelons également le lien entre la crise environnementale et le système économique actuel, capitaliste notamment : la croissance économique aboutit aujourd’hui à une destruction des écosystèmes. Ce sont bien les entreprises, les États, les individus les plus riches qui sont responsables d’une crise environnementale dont les pays et les catégories les plus pauvres seront les premiers à payer le prix. L’École n’est pas un îlot dans la société, et les actions qui y sont entreprises ne sont pas indépendantes du contexte économique et politique. Ce sont ces préoccupations qui nourrissent nos réponses au questionnaire (questions en jaune) communiqué par la mission d’information parlementaire sur l’adaptation de l’École au changement climatique.

I. Contenu pédagogique

1. Comment évaluez-vous la connaissance des élèves concernant le changement climatique ? Selon vous, la sensibilisation des élèves au changement climatique est-elle aujourd’hui satisfaisante ? Les jeunes générations vous apparaissent-elles aujourd’hui correctement informées sur ces enjeux ? Cette information est-elle transmise par l’école ou par d’autres acteurs (réseaux sociaux, associations) ?

La connaissance des élèves concernant le dérèglement climatique est très hétérogène selon les milieux sociaux et les territoires, et globalement insuffisante. L’éco-anxiété des jeunes est nourrie par une information partielle et partiale qui néglige les causes du dérèglement climatique et restreint les solutions à des petits gestes individuels qui les culpabilisent. Les dispositifs existants, comme les éco-délégués et les Comités d’éducation à la santé et à la citoyenneté, sont des coquilles vides.

Les préoccupations environnementales sont vécues comme une punition ou une contrainte pour les élèves puisqu’on leur propose par exemple des projets de nettoyage d’espaces, alors que ce ne sont pas les plus jeunes qui sont responsables de la pollution. Les mesures de culpabilisation individuelle ne sont pas efficaces.

Par exemple, quand on demande aux élèves de ramasser les plastiques dans un espace public, on se borne à enseigner des règles collectives de vie en société : ne pas jeter des déchets par terre. Mais ce n’est pas une sensibilisation à l’écologie, pour cela il faudrait travailler sur la réduction des emballages. Pour sensibiliser les élèves, il faut transformer l’environnement dans lequel ils apprennent. Certains établissements ont ainsi mis en place le tri des déchets, parfois à l’initiative des éco-délégués, cependant faute de personnel d’entretien suffisant, les déchets sont tous jetés au même endroit. Les élèves sont conscients de ces contradictions.

2. Les programmes scolaires vous semblent-ils suffisamment portés vers les enjeux climatiques ? Les professeurs sont-ils satisfaits du caractère « transversal » que revêt actuellement l’éducation au développement durable ? Ce caractère transversal permet-il de consacrer suffisamment de temps aux enjeux climatiques ? Jugent-ils qu’il serait nécessaire d’en faire une matière à part entière ?

S’est opéré un « verdissement des programmes scolaires », qui n’est cependant pas suffisant. Nous demandons une refonte en profondeur des programmes scolaires, qui cesse de faire de la croissance un modèle économique incontournable. Les programmes scolaires sont construits sur une vision biaisée des causes, des effets, et des solutions possibles de la crise environnementale, qui :
- fait de la croissance un modèle économique indépassable, alors qu’il est insoutenable,
- met l’accent sur la responsabilisation individuelle (les « petits gestes ») sans politiques publiques d’ampleur ni contraintes imposées aux entreprises,
- propose des solutions technophiles comme seules issues de la crise environnementale.
- fait des écosystèmes naturels des seuls outils de services et de production.

On peut en prendre pour exemple cet extrait du programme de terminale de Sciences économiques et sociales : « Comprendre qu’une croissance économique soutenable se heurte à des limites écologiques (notamment l’épuisement des ressources, la pollution et le réchauffement climatique) et que l’innovation peut aider à reculer ces limites. » Cet énoncé revient à dire que la seule solution digne d’être évoquée en cours est d’ordre technologique. Comme tel, c’est une contre-vérité, que contestent les rapports du GIEC qui font de la sobriété et de la réduction de la consommation d’énergie un préalable inévitable. Le manque de maitrise des méthodes et savoirs scientifiques de la part des élèves, s’érige en barrière au développement de l’esprit critique et favorise l’acceptation de l’inaction ou du complotisme.

L’expression « développement durable » est au demeurant elle-même datée, c’est un oxymore à laquelle il faudrait préférer d’autres notions comme celle de reconversion écologique de la société.

SUD éducation exprime son scepticisme à l’égard de l’idée de faire des enjeux climatiques une matière à part entière. L’ancrage disciplinaire de cette question est au contraire un rempart contre cette vision monolithique et biaisée de la transition écologique. En effet, celle-ci est ensuite passée au crible des méthodes et critiques disciplinaires. Les risques d’en faire une matière à part entière sont nombreux :
- qui pour l’enseigner, à partir de quels savoirs disciplinaires ?
- risque d’en faire une matière reléguée, dont les élèves ne saisissent pas la centralité,
- risque qu’elle soit simplement l’écho de la vision gouvernementale de la transition écologique, sans liberté pédagogique pour les enseignants ni possibilité de critiquer le modèle économique de la croissance à tout prix.

Nous alertons également sur les dangers du « tout numérique » dans l’éducation, qui a un coût environnemental important, et regrettons que les conseils départementaux et régionaux soient plus soucieux de fournir tablettes et ordinateurs portables à l’obsolescence programmée plutôt que des gourdes aux élèves. Il est paradoxal de développer les formations en visio, les manuels en ligne, les partenariats avec les Gafam... et de parler d’écologie aux élèves.

Enfin, il est primordial de protéger l’École des intérêts privés et du lobbying d’entreprises polluantes : Gafam, financeurs de sorties scolaires, géants de l’agro-alimentaire promouvant une consommation de protéines animales excessive pour la santé des enfants comme pour l’environnement.

3. La formation initiale et continue des professeurs à ces enjeux vous semble-t-elle suffisante ?

La formation est inexistante. Il faut pourtant une formation de fond pour que les personnels comprennent le dérèglement climatique, ses causes, ses effets, de même qu’une formation disciplinaire et pédagogique pour outiller les équipes à travailler dessus avec les élèves afin d’intégrer ces questions à leurs enseignements et de construire des séquences spécifiques.

Les personnels se forment tout·es seul·es pour celles et ceux qui y sont déjà sensibles.
Les annonces dans le second degré des formations qui n’auront plus lieu qu’en dehors du temps de service devant élèves risquent d’éloigner encore les personnels de la formation. Dans le premier degré : les 18 heures de formation annuelles sont centrées sur l’application de la doctrine du ministère : les plans français et maths, les savoirs fondamentaux, et rien d’autre. Ce sont souvent des formations en visio, ce qui ne garantit pas une formation de qualité.

Pour que la transmission des savoirs et savoir-faire liés aux enjeux environnementaux soit cohérente de la maternelle au lycée, il faut laisser du temps de concertation aux équipes éducatives sur leur temps de travail, sanctuariser des semaines dédiées aux projets des élèves et des enseignant·es, construire des formations qui viennent des besoins et des propositions du personnel.

4. Existent-ils des supports pédagogiques fiables et adaptés au niveau des élèves pour aborder ces sujets ?

Non, lorsqu’il existe du matériel, il est assez incompréhensible et ne permet pas de mettre les élèves en activité.

5. Quel regard portez-vous sur l’annonce d’une nouvelle certification des savoirs verts en classe de 3 ème ? Le programme actuel permettrait-il de conclure les années de collège par une évaluation de ces enseignements ?

Il faudrait que l’on nous présente ce que sont ces savoirs verts : s’agit-il d’évaluer la compréhension des causes et des effets du dérèglement climatique ? Ou s’agit-il d’ « écogestes » individualisés, ou de greenwashing  ?

SUD éducation fait part de son scepticisme concernant la multiplication des certifications : ce qui nous intéresse c’est le contenu des enseignements et la formation des élèves. Il faut par exemple mettre des moyens pour dédoubler les classes en SVT pour renforcer les enseignements.

6. Les initiatives telles que « la classe dehors » ou les séjours de classes découverte peuvent-elles permettre de mieux former les plus jeunes aux effets du changement climatique ? Quels sont les obstacles à ces projets ?

Ces initiatives peuvent être un levier, pourvu qu’on laisse la liberté pédagogique aux enseignant·es pour les organiser, et qu’ils ne soient pas financés par des entreprises polluantes mais bien par des financements publics suffisants.

Les obstacles à ces projets sont aujourd’hui de plusieurs ordres :
- Obstacles budgétaires,
- Lourdeur des démarches administratives pour monter des dossiers qui ne sont parfois pas retenus,
- Le coût des transports publics, notamment ceux de la SNCF pour les groupes scolaires,
- Les restrictions faites aux sorties scolaires depuis cette rentrée en lien avec la volonté de renforcer le Remplacement de courte durée (RCD) : des sorties sont retoquées quand les accompagnant·es ne trouvent pas de remplaçant·e pour assurer leurs cours.

7. Vous semble-t-il pertinent d’adapter le rythme scolaire face aux effets du changement climatique notamment les épisodes de fortes températures qui semblent se généraliser ? Est-il souhaitable de modifier les horaires (favorisant les heures d’enseignement le matin pour éviter les fortes chaleurs) ou le calendrier des examens (plus tôt dans l’année) ?

Il est indispensable d’adapter le rythme scolaire, notamment en favorisant les heures d’enseignement le matin en cas de canicule.

II. Bâtiments scolaires

1. Selon vos retours de terrain, les écoles et bâtiments scolaires sont-ils adaptés aux conditions climatiques actuelles et à venir ?

La situation est catastrophique du point de vue du confort thermique (trop froid en hiver, trop chaud en été) et de la consommation d’énergie. Les personnels vivent des situations ahurissantes où il est par exemple souvent impossible de régler le système de chauffage depuis les classes du fait de l’absence de de robinets thermostatiques.

2. Dans quelle mesure la résilience face au changement climatique est-elle prise en compte dans l’élaboration et la construction de nouvelles écoles ?

Cela dépend beaucoup des collectivités territoriales et des partenariats public-privé qui sont passés. On est très dépendant des entreprises avec lesquelles travaille l’Éducation nationale. Certains collèges ont été rénovés il y a peu de temps sans aucune prise en compte de l’adaptabilité. Il y a aussi les impératifs de réduction de consommation d’énergie à prendre en compte.

3. Quel regard portez-vous sur la débitumisation des espaces extérieurs et l’aménagement de cours végétalisées ?

C’est une nécessité mais il faut davantage inclure les personnels et les élèves dans la réflexion. C’est un chantier hétérogène selon les territoires. Le second degré est en retard sur le premier degré.

4. En général, le personnel de l’Éducation nationale est-il associé, concerté ou consulté lors des projets de rénovation ou de réaménagement du bâti scolaire ?

Pas du tout, il existe une opacité forte. Il n’existe pas de programmation claire à l’échelle des villes, départements et régions. On ne sait pas quels sont les établissements prioritaires, sur quels critères, avec quels objectifs et quel calendrier.

En règle générale sur le bâti scolaire, SUD éducation fait le constat que les collectivités territoriales ont de moins en moins de moyens pour mener à bien sa nécessaire rénovation. Elles ont de plus des moyens inégaux selon les territoires. Elles sont déjà confrontées au renchérissement de l’énergie, conjoncturel, mais aussi induit par le marché européen de l’énergie qui augmente artificiellement le prix de l’électricité en l’indexant sur celui du gaz. Pour SUD éducation, le ministère doit reprendre la main sur la gestion du bâti scolaire de la maternelle à l’université avec un plan ambitieux de rénovation du bâti scolaire et des moyens financiers à la hauteur.

Nous nous inquiétons notamment des propos du ministre de l’Éducation nationale Gabriel Attal, qui à deux reprises depuis fin août s’est exprimé en faveur d’un conditionnement de la rénovation thermique des établissements à leur implication dans les projets proposés par le ministère : « autoévaluation », « innovation pédagogique » ou encore « projet dans le cadre du Conseil national de la refondation ». La rénovation thermique est une urgence vitale, pas une récompense pour bonne conduite, surtout venant d’un gouvernement qui rechigne régulièrement à conditionner les aides aux entreprises par des critères environnementaux.

III. Mobilités

1. Quelles sont vos recommandations pour rendre plus facile le choix des mobilités actives pour se rendre à l’école ?

Le transport est l’une des principale source d’émission de gaz à effet de serre dans l’Éducation, hors des métropoles, et cela pour deux raisons.

Premièrement, les transports publics sont trop chers et pas adaptés aux horaires scolaires.

Deuxièmement, la mobilité des personnels est entravée par les suppressions de postes, entraînant des distances plus importantes entre le domicile et le travail. Rappelons que 7 900 postes ont été supprimés depuis 2017 ; 2 500 le seront sur le prochain budget.

Faute de postes, les personnels ne parviennent pas à rentrer dans leur académie d’origine, ce qui occasionne des déplacements importants le week-end et pendant les vacances, parfois en voiture car le train est trop cher.

Dans les académies, les personnels sont titulaires de zone de remplacement pendant plusieurs années avant d’obtenir un poste fixe. Ils subissent des changements d’affectation chaque année, dont ils ont tardivement connaissance, ce qui entraîne l’impossibilité de travailler près de leur domicile, et parfois d’emprunter des transports en commun ou le vélo pour leurs déplacements, quand le trajet est trop long. De plus les établissements scolaires sont en grande partie dépourvu de garage à vélo, ce qui ne favorise pas le choix de cette mobilité.

Il faut plus de transports avec des mesures de gratuité, et surtout recréer des postes.